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Précarité : nom commun de genre féminin

Nom commun de genre féminin dans le dictionnaire, la précarité a également dans la réalité, un visage en grande partie féminin. Les femmes constituent aujourd’hui la majorité des personnes touchées par cette situation d’instabilité, d’insécurité et de pauvreté, qui s’impose…

Nom commun de genre féminin dans le dictionnaire, la précarité a également dans la réalité, un visage en grande partie féminin. Les femmes constituent aujourd’hui la majorité des personnes touchées par cette situation d’instabilité, d’insécurité et de pauvreté, qui s’impose ou est choisie sous-contraintes.

Le Conseil économique, social et environnemental définit la précarité comme « l’absence d’une ou plusieurs sécurités notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L’insécurité qui en résulte peut-être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l’existence, qu’elle devient persistante, qu’elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un avenir prévisible »[i].

La précarité féminine est une conséquence directe des inégalités de genre, passées et actuelles, et elle est étroitement liée à la place des femmes dans la société, dans les sphères personnelles et professionnelles. Cette vulnérabilité genrée a longtemps été occultée par le modèle traditionnel du couple (homme-femme-mariés). En effet, le calcul statistique des ressources s’effectue par ménage, et part du principe d’un « pot commun » des revenus où les salaires des conjoints s’équilibrent : on ne peut statistiquement pas être pauvre dans un ménage riche.

Or, en 2020, la famille nucléaire est devenue minoritaire[ii] et les femmes historiquement plus précaires, paient davantage le coût de cette reconfiguration familiale. Il est aujourd’hui indispensable de souligner les causes et l’ampleur de la précarité féminine pour y remédier et avancer vers une société égalitaire. 

I/ LES INEGALITES PROFESSIONNELLES, A LA RACINE/SOURCE DE LA PRECARITE FEMININE 

Si l’emploi apparait comme le meilleur garant contre la précarité, l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail depuis 30 ans n’a pas fait obstacle à leur précarisation. Au contraire, les inégalités qu’elles rencontrent dans la sphère professionnelle et les caractéristiques des emplois qu’elles occupent perpétuent la situation.  

  • Des salaires plus faibles que ceux des hommes

Le premier facteur de la précarité féminine est l’inégalité économique la plus emblématique : l’écart de salaire entre les femmes et les hommes. Les femmes représentent les ¾ des bas salaires. En 2017, elles perçoivent dans le secteur privé une rémunération inférieure de 28,5% à celle des hommes. Cet écart est de 12% dans la fonction publique.

Cet écart criant de salaire est principalement lié à l’emploi occupé, car à poste et à compétences égales l’écart de salaire moyen descend à 9,3%. En effet, le plafond de verre est toujours d’actualité : l’accès aux postes hauts placés et mieux rémunérés est plus difficile pour les femmes. Elles occupent moins de postes de cadre que les hommes (16,8,5% contre 21,6%), elles sont moins souvent cheffes d’entreprises (3,9% de femmes contre 9,3% d’hommes), et occupent plus souvent des postes d’employées ou d’ouvrières non qualifiées (24,9% de femmes, contre 14,8% d’hommes). Elles sont pourtant, paradoxalement, plus diplômées que les hommes. 

Moins présentes sur certains postes et dans certains domaines tels que l’ingénierie, la banque ou le numérique, les femmes sont sur-représentées dans d’autres domaines d’activités : enseignement, santé, hébergement médico-social et action sociale et services aux ménages. Ils regroupent à eux-seuls 41,9% des emplois occupés par les femmes. Certains emplois ne semblent se conjuguer qu’au féminin (infirmières, aide-soignante, femmes de ménage…) et font l’objet d’une ségrégation professionnelle sexuée. En moyenne, les salaires de ces emplois à prédominance féminine sont faibles,[iii]  bien qu’ils soient parfois à hautes responsabilités – comme la crise du covid19 l’a rappelé. Les hommes exerçant une profession à personnel majoritairement féminin subissent également cette dévalorisation salariale.

  • Des parcours professionnels discontinus et temps partiels massifs

Les inégalités de temps de travail sont responsables de plus 40% de l’écart de salaire. Les femmes sont plus souvent en temps partiel, moins souvent en emploi dans l’année et leur carrière est discontinue.

En premier lieu, la maternité a une incidence forte sur l’évolution professionnelle et la rémunération des femmes. En effet, la naissance d’un enfant coïncide à une baisse de salaire chez les mères de -2% à -3%, alors qu’elle provoque une hausse de 3% des revenus des pères – à compétences égales dans une même entreprise[iv]. Ce décrochage des salaires s’amplifie au fil du temps du fait de multiples facteurs : réticence à l’embauche, choix de travail proche du lieu de vie et à horaires flexibles, négociations salariales réduites. Les femmes ayant des responsabilités familiales sont plus souvent inactives ou au chômage. Pour celles en activités, elles sont 30% à réduire ou modifier leur temps de travail en raison de leur parenté.  

C’est une des raisons pour laquelle l’activité partielle touche quatre fois plus les femmes que les hommes. 30% des femmes en emploi sont en temps partiel contre 8,4% d’hommes[v]. Parallèlement, la part de femmes qui souhaiteraient travailler davantage et sont disponibles pour cela est supérieure à celle des hommes : elles sont 8,6% à être en sous-emploi contre 3,5% d’hommes. Travailler moins a pour conséquence logique de gagner moins, et cette forme d’emploi participe à la plus grande précarité des femmes.  De plus, elles sont plus souvent en CDD que les hommes, forme de contrat par définition moins stable qu’un CDI. Les types de contrats des femmes sont ainsi un facteur de la prégnance de la précarité féminine, car, ils sont sources de revenus faibles et d’une instabilité professionnelle et économique.

L’ensemble de ces difficultés dans leur parcours professionnels enferment les femmes dans un « piège de pauvreté » : il leur est plus difficile de s’enrichir progressivement au cours de leur vie.

II/ LES SITUATIONS PERSONNELLES, CAUSES D’AGGRAVATION DE LA PRÉCARITÉ

Au-delà de l’emploi, les inégalités et les évènements de la sphère personnelle sont également sources de différenciations entre hommes et femmes.

La reconfiguration du modèle familial est source de précarisation des femmes, qui constituent la majorité des familles monoparentales. En effet, elles sont, dans 9 cas sur 10, le parent seul en charge des enfants. Or, 35% des familles monoparentales vivent sous le seuil de pauvreté. Lors d’un divorce, une femme subit un recul de niveau de vie beaucoup plus important que celui de son ex-mari (20% contre 3%). Cela s’explique aisément par leur revenu inférieur, le temps partiel et leur exposition au risque de chômage. De plus, la réduction de la taille du ménage provoque mécaniquement une augmentation des dépenses qui pèse sur des revenus réduits. Si les pensions alimentaires viennent compléter le manque dans certaines familles, ce n’est pas toujours le cas et leur montant est variable.

D’autre part, les femmes retraitées et célibataires ou veuves sont particulièrement touchées par la pauvreté et la précarité. Dans le secteur privé et dans le secteur public, les retraites des femmes sont inférieures à celles des hommes. Cela se trouve en continuité logique des inégalités professionnelles : interruptions de carrière, temps partiels et salaires inférieurs tirent vers le bas le montant des retraites perçues. En conséquence, on observe des écarts de niveau de vie conséquents entre retraités et retraitées et entre veufs et veuves.

Enfin, un dernier élément issu de leur sphère personnelle influe sur la précarité des femmes : le travail domestique. Avec une définition resserrée de celui-ci, sur les « tâches ingrates quotidiennes » (cuisine, ménage, soins aux enfants, linge), il incombe pour 72% aux femmes. Pour les mères en couple, cela représente 28 heures de travail hebdomadaire, contre 10 pour leur conjoint[vi]. Ce travail domestique, non rémunéré, participe selon Oxfam à la précarisation des femmes car il les prive de temps pour générer des revenus supplémentaires, se former, obtenir un travail mieux rémunéré ou à temps complet[vii]. En cela, l’inégalité face au travail domestique entretient les inégalités salariales.

III/ CONSÉQUENCES DIRECTES SUR LES CONDITIONS DE VIE ET ACTIONS DES ASSOCIATIONS

Pour celles qui en souffrent, la précarité a des conséquences plurielles sur leur mode de vie et celui de leur famille. L’insuffisance de ressources et l’instabilité perturbent les individus dans leur parcours de vie : alimentation, santé, image de soi, insertion sociale et professionnelle, réussite des études… Dans ce tableau noir, nous avons choisi d’approfondir quelques thématiques, où les initiatives associatives résonne avec les actions de la Fondation Nexity.

La précarité hygiénique est l’une des conséquences de la précarité économique des femmes. Sans différence de genre, l’hygiène apparait comme un luxe pour les personnes les plus précaires, qui renoncent à l’achat de produits d’hygiène par manque d’argent ou à des activités sociales en raison de leur apparence personnelle. De nombreuses femmes en situation de précarité mettent leur santé entre parenthèse par manque de moyens financiers : elles représentent 64% des personnes reportant ou renonçant leurs soins pour cause de précarité, leur suivi gynécologique et le dépistage de cancers est moindre[viii]. Cette situation est alarmante, les conditions de santé des femmes se dégradent : leurs maladies professionnelles et accidents du travail sont en hausse depuis 15 ans et elles sont plus exposées aux troubles psychologiques. Pour les femmes précaires, la précarité menstruelle s’ajoute à cette précarité hygiénique comme l’illustre l’étude IFOP/Dons solidaire de 2019[ix] : elles sont 1,7 millions à manquer de protections hygiéniques, ce qui impacte leur vie sociale et professionnelle. Effectivement le coût des règles est estimé à 5 000€ sur une vie, soit 5% du budget des femmes les plus précaires.

  • En février 2020, les secrétaires d’Etat Marlène SCHIAPPA et Christelle DUBOIS annonçaient vouloir expérimenter la gratuité des protections périodiques dans plusieurs lieux collectifs : un premier pas pour des règles égalitaires.

Le logement est une problématique considérable pour les femmes en situation de précarité. Les coûts liés au logement (loyer et charges) pèsent fortement sur le budget des ménages dont le niveau de vie est faible. Les femmes en situation de précarité subissent de plein fouet ces difficultés d’accès au logement : elles sont surreprésentées parmi les ménages allocataires des aides au logement, du fait notamment de la part importante de familles monoparentales bénéficiaires. En effet, selon la Fondation Abbé Pierre, le mal logement touche 41,5% des familles monoparentales[x] dont les cheffes de famille sont majoritairement les mères célibataires. Ce mal logement peut prendre diverses formes : errance, superficie faible, vétusté, isolement… Une situation d’urgence (violences, divorce, enfants) peut les contraindre à accepter une situation de logement indécente. Vivre seule dans son logement suite au décès du conjoint peut également s’avérer compliqué économiquement pour les femmes âgées veuves (maintien et adaptation du logement).

Les petits logements adaptés à des personnes vivant seules sont en tension dans le parc social comme dans le parc privé. La concurrence pour leur accès se mue parfois en véritable discrimination, dont les femmes célibataires sont les premières victimes. A dossier équivalent pour un même logement, par rapport à un candidat de référence, une mère célibataire se voit refuser la visite une fois sur trois[xi]. Discriminées par les bailleurs, elles peuvent aussi l’être par dans leur accès au crédit bancaire.

Dans les cas du sans-abrisme, l’errance se vit également autrement au féminin. Les stratégies sont différentes : elles évitent la rue, s’invisibilisent, sont peu présentes dans les centres d’hébergements d’urgence. Les associations d’aide s’adaptent, pour répondre aux besoins spécifiques des femmes les plus précaires.

  • Agir pour la Santé des Femmes se rend à leur rencontre en sillonnant les rues d’Ile-de-France avec son « frottis-truck ». Elle leur propose des solutions pour leur santé hygiénique et gynécologique ainsi qu’un hébergement sans condition à la Cité des Dames.
  • Le Samu Social de Paris déploie également des actions spécifiques pour les femmes en situation d’exclusion. En 2019, la campagne #LaRueAvecElles a permis de financer un lieu d’hygiène et de soin et le Samu Social de Paris a accueilli et accompagné 860 femmes à la halte de l’Hôtel de Ville. Un nouveau centre d’hébergement pour des femmes de 18 à 25 ans doit également ouvrir dans le 14ème arrondissement de Paris.

La précarité économique ou le risque de précarité économique en cas de rupture, créent de la dépendance financière au conjoint. Cette dépendance économique est fondamentale dans le cas de violence conjugales. Bien souvent, les victimes de violences sont en effet totalement dépendantes de leur conjoint violent. Cette dépendance participe à une acceptation de la situation, constitue un obstacle à leur départ et un moyen de pression du conjoint. Par crainte pour ses enfants ou pour elle-même, le départ du foyer et la rupture peuvent être retardés ou ne jamais subvenir. Au-delà des violences conjugales, cette dépendance financière est une entrave à la liberté et l’autonomie des femmes. Cela impacte leurs choix de vie : loisirs, autorestriction, autonomie de leurs décisions. Une forme de créance masculine et de dette féminine peut mener à un sentiment de redevabilité au conjoint, et, à la diminution du temps de travail pour s’occuper des enfants et « faire leur part » … La Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) coordonne et déploie des actions spécifiques pour les femmes victimes de violences conjugales. Elle gère notamment la ligne nationale d’écoute 3919 VIOLENCES FEMMES INFO. Lien avec le site de la FNSF. La Fédération accompagne les femmes vers cette autonomisation et les aide à reprendre le pouvoir sur leur vie.

  • Pour en savoir plus, notre article : (lien vers l’article sur le logement / femmes victimes de violences)

Pour renverser la balance des inégalités et éviter aux jeunes filles de vivre demain ces situations de précarité, il nous semble également indispensable d’agir dès le plus jeune âge. Nous soutenons l’orientation des jeunes filles vers des métiers d’avenir en leur faisant découvrir une diversité de métiers et notamment les métiers dits « masculins ». Cette année, l’appel à projets de la fondation Nexity a récompensé l’association « Rêv’Elles » pour ses programmes d’empowerment des jeunes filles qui participent à la revalorisation de la place des femmes dans la société. Dans cette lignée, pour soutenir l’entrepreneuriat féminin et participer à la déconstruction du stéréotype du « chef d’entreprise homme », la Fondation Nexity décerne chaque année le prix « Entrepreneuses dans la Ville ». 

Pour faire advenir l’égalité femme-homme, et lutter contre la précarité féminine, il est de notre responsabilité collective et individuelle de soutenir l’émancipation des femmes, affirmer leurs capacités à entreprendre, les orienter vers des métiers qui paient plus, lutter pour la reconnaissance de leurs compétences et leur rémunération à leur juste valeur, aider celles qui sont dans l’urgence et le besoin, développer la confiance en elles des jeunes filles… 

 

[i] Conseil Economique Social et Environnemental, Avis sur la « Grand pauvreté et précarité économique et sociale », 1987

[ii] INSEE, Bilan démographique, 14 janvier 2020 -> 45%

[iii] DARES, Document d’études, Ségrégation professionnelle entre les femmes et les hommes : quels liens avec le temps partiel ?, 2019, p.12.

[iv] INSEE

[v] INSEE, Tableaux de l’économie française 2020

[vi] INSEE, Le travail domestique : 60 milliards d’heures en 2010, https://www.insee.fr/fr/statistiques/2123967

[vii] OXFAM France, rapport Pauvreté au travail, les femmes en première ligne, 2018 https://www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/pauvrete-au-travail-les-femmes-en-premiere-ligne/

[viii] Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Rapport n°2017-05-29-SAN-O27, La santé et l’accès aux soins : Une urgence pour les femmes en situation de précarité, 29 mai 2017.

[ix] IFOP pour Dons Solidaires, Sondage La précarité hygiénique, Février 2019

[x] Fondation Abbé Pierre, Rapport sur le mal logement 2020, p. 35

[xi] Défenseur des droits, « Guide louer sans discriminer : un manuel pour professionnaliser ses pratiques ».

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