Le confinement est une catastrophe éducative mondiale » : ce constat de Jean Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale, impose un décryptage. L’école numérique à distance a surtout, en France, impacté les élèves en difficultés scolaires et sociales, creusant les inégalités scolaires. Aujourd’hui, les vacances et la rentrée 2020 sont des enjeux majeurs pour limiter l’impact du covid19 sur la vie des élèves.
- Crise révélatrice et accélératrice des inégalités scolaires
- Continuité pédagogique, un objectif idéal, mais inégal
La fermeture des écoles a été l’une des premières mesures du confinement, pour lutter contre la crise du covid19. Immédiatement, en France, la continuité pédagogique est apparue comme une priorité. Ce maintien du lien entre les élèves et leurs professeurs s’est déployé grâce à un usage abondant de supports et d’outils numériques, visant la poursuite des activités scolaires et des apprentissages à la maison : classes virtuelles, mails, vidéos, devoirs en ligne… Si certaines familles ont pu s’adapter à l’école à la maison, elle a été difficile voire impossible à mettre en place pour d’autres et notamment les familles les plus précaires. Le ministère de l’éducation nationale a ainsi annoncé une moyenne nationale de 5 à 8% d’élèves décrocheurs soit environ 500 000 élèves – sont considérés comme tels ceux qui ont totalement disparu des radars et demeurent injoignables. Cette moyenne serait multipliée par deux dans les établissements sensibles (QPV,REP,REP+), et au-delà du décrochage, les élèves de ces établissements seraient 30% à être « désengagés » de leur scolarité[i]. Cette situation reflète l’inégalité des élèves face à la scolarité à la maison selon leurs conditions socio-économique.
- Des inégalités scolaires préexistantes
Les inégalités scolaires liées aux inégalités sociales préexistent au confinement : en France, l’écart de performances scolaires des élèves de milieux favorisés et défavorisés est en constante augmentation depuis 10 ans, et, l’école française est celle des pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves pèse le plus lourd sur les résultats scolaires. En temps normal, ces élèves sont déjà confrontés à des contextes difficiles créateurs de difficultés scolaires : ségrégation inter et intra établissement, mauvais climat scolaire, pédagogies moins efficaces[ii] … Le travail à la maison, était déjà, avant la crise, reconnu comme facteur de renforcement des inégalités : ce qui n’était pas fait à l’école était, déjà, inégalement fait dans le cadre familial. C’est pourquoi le dispositif « Devoirs faits à l’école » était lancé en 2019 pour aider les collégiens à réaliser leurs devoirs à l’école en dehors des heures de classe. En outre, on note que la disparité scolaire entre élèves favorisés et moins favorisés s’accentue fortement durant les grandes vacances. Pendant l’été, les premiers distancent les seconds dans l’acquisition de compétences scolaires, on parle alors du « revers de l’été ». La distanciation scolaire durant le confinement pourrait avoir le même effet, laissant craindre à un « revers de confinement ».
- Inégalités de confinement : renforcement des inégalités scolaires, hausse du décrochage scolaire
Avec l’école à la maison, plusieurs facteurs ont eu pour effet d’exacerber l’impact des conditions socio-économiques sur les inégalités scolaires. En premier lieu, les conditions de confinement ont pu impacter les élèves dans leur travail quotidien. Les élèves les plus précaires ont pu manquer d’un espace suffisant et calme pour travailler, d’une ambiance moins propice au maintien de l’attention. Ainsi, en Seine-Saint-Denis où 30% des logements sont suroccupés[iii], plus de 30% d’élèves étaient en situation de décrochage scolaire en mai 2020. De plus, l’absence d’un accès direct à l’extérieur, pour les activités physiques et le défoulement nécessaire a pu impacter négativement leur concentration.
Ensuite, les élèves les plus modestes n’ont pas tous eu accès au numérique, alors même que ce fut le principal canal d’échange de l’école confinée. En France, 71% des familles les plus modestes sont équipées en ordinateur, contre 90% dans les familles les plus aisées. Sans ordinateur, ou avec un seul ordinateur pour plusieurs élèves, les élèves n’ont pas pu suivre avec assiduité les cours en ligne. Pour certains, l’absence d’un accès à internet a rendu impossible la continuité pédagogique. Lire ses cours sur un téléphone, sur l’ordinateur des parents en télétravail, via un partage de connexion engendrant des frais hors forfaits coûteux…Dans ces conditions, suivre les cours demande beaucoup plus d’énergie et de motivation ainsi qu’une réelle organisation familiale. S’accrocher, ne pas prendre du retard, a constitué un véritable challenge pour ces élèves jeunes, parfois déjà en difficultés scolaires, dans un contexte d’angoisse sanitaire. Après trois mois, force est de constater que les écarts se sont encore creusés.
De plus, bien qu’il ne s’agissait pas pour les parents de « faire école à la maison » en remplaçant les professeurs, l’accompagnement des parents dans les activités scolaires est apparu comme indispensable durant le confinement. Dans certaines familles, la capacité d’accompagnement des parents est moindre : barrière de la langue, difficultés des apprentissages, méconnaissance des outils numériques, … Pour autant, la volonté d’aider les élèves est bien présente : une enquête sociologique[iv] récente montre que le temps passé pour la classe à la maison durant le confinement est supérieur dans les classes populaires. Cependant, l’efficacité de la transmission serait plus faible que dans les familles CSP+, en raison de techniques différentes d’accompagnement, du niveau scolaire initial des élèves et de leur autonomie. Ainsi, des disparités de nature pédagogique viennent renforcer les inégalités dans l’école à la maison, en défaveur des élèves les plus modestes.
Malgré les initiatives gouvernementales, l’imagination et l’engagement des enseignants, un ensemble de facteurs sociaux et économiques ont privé certains élèves de cette fameuse continuité pédagogique
- Fermer les écoles : un impact fort pour les familles précaires, au-delà de l’apprentissage
La fermeture des écoles, comme lieu physique, a été une double peine pour les familles les plus précaires. En effet, plus qu’un lieu d’apprentissage, l’école est un lieu ressource, une institution d’aide aux familles. Face aux situations de détresse sociale, elle peut constituer un lieu de premier recours et de médiation entre les familles et les organismes médico-sociaux. Pour les élèves, l’école est aussi un lieu où ils peuvent trouver une infirmerie et du personnel à leur écoute. En outre, la fermeture des restaurants scolaires, a pu constituer une difficulté financière supplémentaire pour certaines familles. En effet, les repas (déjeuner, petit déjeuners) pris à la cantine scolaire, peu chers ou gratuits, constituent pour certains élèves les seuls repas conséquents de la journée. (Lien hypertexte article l’alimentation). Enfin, pour les parents devant se rendre sur leur lieu de travail malgré le confinement, la fermeture des écoles a impliqué une organisation de garde, ou l’arrêt temporaire de l’activité professionnelle et ses conséquences financières.
- Une mobilisation diversifiée pour lutter contre le décrochage scolaire pendant la crise
- Les établissements scolaires, les professeurs et les collectivités territoriales : premières ressources anti-décrochage
Assurer la continuité pédagogique a constitué un défi de taille pour tous les enseignants et établissements scolaires. Pour ceux exerçant dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville, dans des établissements d’éducation prioritaire, dans les territoires de reconquête républicaine ou simplement ceux ayant des élèves en difficultés sociale et scolaire, il a fallu redoubler d’inventivité et d’énergie pour garder le contact.
D’une part, des actions ont été réalisées pour rendre la solution numérique possible dans les familles précaires. Certaines collectivités territoriales (région IDF, région HDF, Rennes, Département Ille et Vilaine…) et certains établissements scolaires ont ainsi prêté du matériel numérique aux familles en difficulté. En Galice (Espagne), ce sont des talkies-walkies qui ont été prêtés, pour résoudre à la fois le problème du matériel et de l’accès à internet des élèves défavorisés. On a aussi observé des solutions de « débrouille » : un enseignant endossant la casquette de mécanicien informatique pour aider ses élèves, des exercices écrits en grande police et en colonnes pour qu’ils soient lisibles sur téléphone… Face au décrochage massif de ses élèves, un professeur d’un collège REP+ de Seine-Saint-Denis a utilisé le réseau snapchat pour communiquer avec ses élèves et assurer la continuité pédagogique. Grâce à cette adaptation, en dehors des logiciels habituellement utilisés par les établissements d’enseignement, la participation de ces élèves a triplé et il est parvenu à rester en contact avec eux[v]. Dans les établissements faisant partie du réseau d’éducation prioritaire, certains professeurs indiquent avoir bien réussi à garder le lien avec les élèves en difficultés scolaires en raison du lien habituel mis en place tout au long de l’année avec les familles.
D’autre part, certains professeurs ont contourné l’obstacle du numérique en optant pour des stratégies d’impression papier et de distribution des exercices. Pour lutter contre le décrochage de leurs élèves, des enseignants ont réalisé des « kits scolaires », cahiers individuels faisant la navette du domicile des élèves à l’école[vi]. Un autre établissement a organisé une permanence hebdomadaire à l’école, avec diffusion des activités en version papier. Dans ce sens, La Poste du 20ème arrondissement de Paris a signé un accord avec le ministère de l’éducation nationale pour imprimer et envoyer massivement aux élèves leurs documents de travail. Si la solution papier a demandé une importante organisation, et beaucoup de ressources, elle a eu beaucoup de succès auprès des parents pour qui l’accompagnement sur papier était plus évident que sur un outil numérique.
Néanmoins, tous les élèves français n’ont pas eu ces options, et, malgré la bonne volonté de tous les acteurs, une hausse du décrochage scolaire (complet ou partiel) est reconnue par les professeurs. Pour ne pas perdre totalement les élèves, ils ont multiplié les efforts : appels des familles, visites au domicile, renseignements auprès des frères et sœurs… La région Île-de-France a également déployé une plateforme d’appel pour tenter d’établir un lien avec les décrocheurs potentiels et les accompagner vers un retour à une structure de raccrochage, s’appuyant sur des relais de terrain.
- L’appui des associations et des entreprises
Pour lutter contre le décrochage scolaire et éviter aux élèves précaires de prendre trop de retard sur leurs pairs plus favorisés, les acteurs associatifs, appuyés par leurs entreprises partenaires, se sont fortement mobilisés. Concernant la fracture numérique, certaines associations ont collecté et distribué du matériel de seconde main, à l’image de la Recyclerie de Toucy dans l’Yonne. Le Samu Social de Paris et le Secours Populaire, soutenus par la Fondation Nexity, ont participé à la continuité pédagogique en finançant du matériel informatique et des connexions pour les familles les plus précaires. Un groupement d’associations nationales spécialisées dans l’éducation (AFEV, Break Poverty Foundation, Emmaüs Connect, Article 1, Chemins d’Avenir, ESA, Institut Télémaque, NQT, Proxité, Socrate) ont organisé une opération d’envergure pour récupérer et distribuer des ordinateurs. Certaines entreprises ont également répondu à l’appel des collectivités, en donnant du matériel au profit des élèves.
En complément de l’aspect matériel, les associations se sont mobilisées pour apporter un soutien scolaire aux jeunes, bienvenu dans cette situation exceptionnelle qui a demandé beaucoup de ressources (autonomie, organisation, motivation, compréhension…) aux élèves parfois très seuls face à leur travail scolaire. Un collectif d’associations (Article 1, la FAGE, Energie Jeunes, Le Choix de l’Ecole, ViensVoirMonTaff, ZUPdeCO), soutenu par le Ministère chargé de la Ville et du Logement, a créé dès le début du confinement la plateforme #RéussiteVirale, pour les élèves du collège à Bac +5. Cette plateforme a permis de mettre en relation des jeunes avec des bénévoles étudiants et professionnels, pour un accompagnement pluriel : soutien scolaire, maintien de la motivation, méthodes de travail… Une dizaine d’entreprises partenaires ont répondu à l’appel de ce tutorat d’urgence solidaire, en mettant à disposition des collaborateurs volontaires.
A l’échelle locale, les associations présentes toute l’année aux côtés des jeunes ont aussi revisité leurs activités. Ainsi, EIAPIC, une association de soutien scolaire pour les jeunes habitants à Mantes la Jolie a suivi ses jeunes bénéficiaires durant le confinement, leur proposant un programme scolaire à distance.
L’ensemble de ces initiatives, gratuites et à destination des élèves, ont permis pour certains d’éviter d’accumuler trop de retard. La reprise représente un véritable enjeu, pour équilibrer le niveau scolaire et rattraper les élèves « perdus de vue » durant le confinement.
- BACK TO SCHOOL
- Retourner à l’école et reprendre contact : les enjeux de la reprise
Avec le déconfinement, la première phase de réouverture des écoles a eu lieu du 11 mai au 1er juin. Elle a été partielle et inégale selon les territoires, les établissements et les niveaux scolaires. Souvent, les élèves fragiles ont été considérés comme prioritaires, aux côtés des élèves des travailleurs en première ligne, en vertu de la continuité pédagogique. Néanmoins, les professeurs constatent qu’ils ne voient pas revenir leurs élèves les plus en difficulté, disparu des radars. Les sondages montrent que le renvoi en classe est corrélé à l’origine sociale des familles, les catégories les plus défavorisées se montrant plus réticentes que les CSP+[vii]. La reprise se faisant sur la base du volontariat, l’enjeu actuel est d’aller chercher ces élèves, convaincre les parents du respect des mesures de précaution mises en place.
L’année scolaire prenant fin le 4 juillet 2020, l’enjeu du retour à l’école n’est pas de terminer le programme. La priorité du déconfinement est plutôt de recréer un lien entre l’élève et l’école : retrouver ses enseignants, avoir des échanges avec les autres élèves… Retrouver le contact avec l’institution scolaire aujourd’hui est un premier pas pour une rentrée de septembre réussie. Les professeurs ont en effet peur de ne pas retrouver certains élèves après l’été, qui auront totalement décroché du système scolaire avec 5 mois d’arrêt. Ils espèrent que la deuxième vague de déconfinement permettra de « raccrocher » des élèves supplémentaires.
- Vacances studieuses, rentrée heureuse ?
Les options de vacances ou le rituel du retour au pays estival s’éloignent, en raison des frontières fermées ou de la perte de revenu. Les villes prévoient une explosion du nombre de personnes qui vont rester dans leurs quartiers cet été. Par exemple, à Grigny, dans l’Essonne, le Maire a prévu une hausse de 30% de la fréquentation des activités municipales estivales[viii].
Avec son projet de « Vacances apprenantes », l’Etat propose de mettre à profit ce temps libre, pour acquérir des compétences scolaires et rattraper le retard pris durant le confinement mais aussi profiter des vacances avec des activités ludiques, culturelles et sportives. Ce dispositif, vise à accueillir 1 millions de jeunes français prioritairement issus de quartiers défavorisés dans divers programmes. « L’école ouverte apprenante » proposera à 400 000 jeunes de 3 à 17 ans des activités scolaires et des activités sportives et culturelles au sein d’établissements scolaires. « L’école ouverte buissonnière » proposera à 50 000 jeunes urbains de se rendre dans une zone rurale pour un séjour éducatif et dépaysant. De plus, les colonies de vacances et les centres de vacances proposant du contenu scolaire pourront être labellisés « apprenants » et rendus gratuits pour les élèves défavorisés, avec un effectif de 550 000 jeunes. Ce programme ambitieux sur le nombre de jeunes prévus, en parallèle des mesures de précaution sanitaire à mettre en place, sera proposé sur la base du volontariat. Si des voix s’élèvent déjà sur le risque de l’entre-soi, de rognage sur les temps de loisir, de scolarisation des activités de vacances, attendons, dans un premier temps, les retours d’expérience.
Pour limiter les impacts du confinement pendant l’été, les associations se mobilisent aussi aux côtés des services municipaux et des collectivités locales. La lecture, les cahiers de vacances, les activités pédagogiques, pourraient aussi participer à cette dynamique d’apprentissage autonome avant le retour en classe. Le tutorat et le mentorat, proposés par des associations comme Article 1, sont et seront aussi, une manière d’aider les jeunes à « raccrocher ».
- Demain, capitaliser sur l’expérience pour améliorer l’école
Pour Jean-Paul Delahaye, inspecteur général honoraire de l’éducation nationale, la crise sanitaire a mis en cause le droit à l’éducation, dans notre pays où l’origine sociale a un impact déterminant sur les inégalités scolaires. Néanmoins, il y a, dans cette crise, des leçons à retenir et des impacts positifs sur lesquels capitaliser pour l’école d’après.
Premièrement, l’omniprésence du numérique dans l’enseignement à distance mène inévitablement à assurer, demain, une égalité d’accès et d’utilisation de ces outils par et pour les élèves. Si le numérique et le digital s’inscrivent davantage dans la pédagogie scolaire, les inégalités d’accès et de compréhension de l’informatique pourraient en effet s’ajouter aux difficultés déjà présentes. Cette option invitera en tout cas un renouvellement des pédagogies et du contenu numérique pour le rendre attractif et complémentaire au cursus présentiel.
Pour d’autre, l’humain pourrait être au cœur du renouvellement de l’école post-covid. Pourquoi ne pas considérer les différences de niveaux comme une chance, pour promouvoir l’entraide et la coopération entre les élèves d’une même classe ou de différents niveaux ? Bénéfique autant pour l’aidant que pour l’aider, cette entraide participerait au développement de leur sens de la solidarité. De même, les étudiants pourraient poursuivre leur accompagnement des élèves plus jeunes. Concernant les équipes enseignantes, ATD Quart Monde soutient qu’une formation à la connaissance des milieux sociaux serait bénéfique aux élèves. En effet, elle pourrait permettre une meilleure compréhension des conditions de vie, de travail et faciliter le dialogue école-famille.
Enfin, la crise aura peut-être comme effet de faire entrer à l’école d’autres compétences et de renouveler les pédagogies. Les professeurs reconnaissent que les stratégies développées par les élèves pour suivre leurs cours durant le confinement leur ont fait développer des compétences non reconnues à l’école. Capitaliser en créant un pont entre les compétences du « réel » et l’école pourrait permettre de faire prendre conscience à certains élèves en difficultés de leurs compétences et ressources. En effet, autonomie, organisation, arbitrage, responsabilités sont autant de softskills qu’ils développent souvent dans leurs familles ou leurs quartiers dans le cadre d’expériences extra-scolaires et qui ne sont pas pour l’instant valoriser par l’institution scolaire